lundi 13 juin 2011

"LA VIE EST MECHANTE ! " hurla la vielle dame.

À ceux qui trouveraient que les difficultés sur leur chemin sont trop douloureuses et qui risqueraient de perdre le bien le plus précieux qu'est la joie de vivre, il est conté ceci :
 

« Il était une fois une vieille, très vieille femme, qui toute sa vie avait eu bien des peines. Cela avait été, pour elle, malheur sur malheur. Son caractère s'était aigri et, nuit après nuit, sur la fin de sa vie, elle ressassait tout cela.
Un jour où le druide du village enseignait aux villageois réunis autour du grand menhir et parlait, comme à l'accoutumée, de la bonté de la vie, elle n'y tint plus, se leva, lui coupa la parole, et cria devant l'assemblée médusée :
- Ce n'est pas vrai, la vie est méchante !
Interloqué, le druide bredouilla :
- Ce n'est pas vrai, on ne peut pas dire cela !
- Si, si, si... Je le répète et je le répèterai partout : la vie est méchante !
- Oserais-tu redire cela devant Merlin ? demanda le druide qui ne savait quelle contenance prendre.
- Oui, oui, oui, je le redirai partout, la vie est méchante ! Je le redirai devant Merlin, devant le roi Arthur lui-même s'il le faut. La vie est méchante !

Le druide déconfit rendit compte à Merlin. Celui-ci convoqua la vieille au fond de la forêt où il avait coutume de se retirer. La pauvre vieille vint, accompagnée de tous les gens de son village, tous curieux, le druide en tête, de savoir ce qui allait se passer.
- Oserais-tu redire ici, tonna Merlin, oserais-tu redire ici ce que tu as affirmé au druide de ton village ?
- Oui, oui, oui, je le redirai partout, ici ou ailleurs, la vie est méchante ! Je le redirai devant le roi s'il le faut ! La vie est méchante ! La vie est méchante ! tonna la petite vieille toute courbée sous le poids de ses malheurs.
- Oserais-tu, lui demanda Merlin, oserais-tu le dire à la terre entière ?
- Oui, j'oserai ! À la terre entière ! La vie est méchante !

Alors Merlin lui demanda de le suivre jusque dans la montagne, sur un sommet escarpé d'où l'on pouvait voir d'autres montagnes et des plaines à perte de vue. Toute l'assemblée avait suivi avec intérêt, se demandant comment cette étrange aventure se terminerait.
Après plusieurs heures d'une rude montée, quand tout le monde se fut immobilisé face au plus grandiose paysage que l'on puisse imaginer, Merlin demanda :
- Là, devant ces plaines et ces montagnes, devant la terre entière, oserais-tu répéter ce que tu as dit au pied du grand menhir ?
- Oui, oui, oui ! J'oserai, dit la vieille.

Dans un silence grandiose et surprenant, d'une voix vigoureuse pour son âge, rassemblant ce qui lui restait de force, elle hurla presque :
- La vie est méchante, la vie est méchante !
Et l'écho au loin répéta :
- La vie aime et chante, la vie aime et chante ! »

Patrick Dacquay, Le Chaman Blanc p.172